Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/25

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« Je vous dirai, écrivait le premier, que je m’occupe à préparer une édition illustrée, seul moyen qui me reste d’en donner une revue par moi, sans avoir à soutenir une lutte inégale avec les contrefacteurs. Cette édition aura une foule de corrections de détails, surtout pour la partie de la langue… » (23 octobre 1839.)

« J’ai l’honneur de vous envoyer le prospectus de ma nouvelle édition, et je prendrai des informations sur le plus sûr et plus court moyen de vous faire parvenir les livraisons, à mesure qu’elles seront imprimées… Quant à la Colonna infame, qui fera suite au vieux ouvrage, je vous l’adresserai le plus tôt possible, avant la publication ; mais j’ose vous répéter que ma condition est que vous ne vous croyiez engagé qu’à lire, ce qui, au moins, ne fera qu’un court exercice de patience. » (16 septembre 1840.)

« Quant à des traductions qui pourraient devancer la vôtre et qu’une bonté, dont je suis confus, vous fait craindre, il n’y a que trop de motifs de ne pas s’en inquiéter. La plupart des corrections ne tombent que sur des mots ou sur des phrases, sans toucher au sens ; les autres sont en trop petit nombre et de trop peu d’importance ; tout cela ne peut avoir de chance de traduction que dans une indulgence aussi obstinée que la vôtre. » (2 octobre 1840.)

« Je fais partir aujourd’hui pour Marseille, par un expéditionnaire, un petit paquet renfermant les épreuves corrigées des cinq premières feuilles, et je continuerai à fur et à mesure… Vous savez que je ne partage pas vos craintes, mais elles sont trop bienveillantes et trop honorables pour moi pour que je ne m’associe pas aux précautions que vous jugerez nécessaires. » (Milan, 14 novembre 1840.)

Dans l’intervalle de ces deux travaux, le marquis de Montgrand était revenu une fois encore à son auteur de prédilection : il voulut faire connaître aux personnes peu familiarisées avec la langue italienne les Inni sacri, ces chefs-d’œuvre lyriques où rayonnent tout à la fois, et sans confusion, les élans les plus sublimes de l’âme et les pensées les plus touchantes du cœur, les figures les plus hardies et les expressions les plus simples, les souvenirs bibliques et les trésors de la plus féconde imagination. Ces richesses empruntées aux Écritures ou qu’il a tirées de lui-même, ces images étincelantes ou suaves, pleines d’onction et de magie ; la foi surtout, la foi vive, entière, sans restriction aucune, qui plane sur ces grandes poésies et les embrase de ses feux, tout cela fait de chacun de ces hymnes une prière ravissante.

Dans cette étude de bien moindre étendue, il y avait plus de difficultés à vaincre : des six odes du pieux poëte de Milan, le traducteur a fait pourtant une richesse nationale : le lecteur n’est plus soutenu par l’intérêt de la narration, par la variété des caractères de Lucia, de Renzo, d’Agnese, d’Abbondio, de Cristoforo, de l’Innomé, de Borromée ; par ces admirables tableaux de l’émeute, de la famine, de la peste. Il fallait que tout vînt de l’imitateur, qu’il sût captiver l’attention par l’énergie et la grâce de la forme, qu’il épuisât la magie des mots et qu’il conservât en même temps la pensée de l’original dans toute sa profondeur et sa magnificence. Il n’a point faibli dans sa tâche. Sa prose harmonieuse et cadencée rend merveilleusement la cadence et l’harmonie de ces beaux vers. Elle est, dans Noël, empreinte de joie et de reconnaissance ; — dans la Passion, elle devient grave et mélancolique, douce et suave dans Marie ; — dans le Cinq Mai, dont Lamartine a su si bien, dans son Bonaparte, reproduire quelques-unes des plus belles images, elle s’élève à la hauteur du texte. — Elle ferait presque trouver moins ridicule le système de la Motte qui voulait qu’on essayât des odes en prose. — Je ne crois pas, en effet, que la poésie imitatrice nous eut initiés plus heureusement au génie si varié, si flexible, si élevé de Manzoni ; je ne crois pas que cette sorte de lutte avec l’original nous l’eût fait mieux connaître : la prose s’est pliée à la fidélité la plus scrupuleuse, n’a rien omis, pas une pensée, pas une image, pas un effet d’harmonie.

Certes, ceci n’est point le développement d’un système toujours débattu : Faut-il traduire les poëtes en vers ou en prose ? Non ; c’est une exception ; il s’agit seulement du poëte des Inni sacri et de son éminent traducteur.

« Tout comme pour les Fiancés, écrivait le poëte, je me suis surpris à me relire avec plaisir dans votre belle traduction. Vous avez la modestie de vouloir être jugé par moi ; en pareil cas, exprimer sa vive reconnaissance, c’est une forme de jugement. Je ne pouvais vous obéir que de cette manière. » (7 juin 1838.)

« Si je ne songeais qu’à mes intérêts, je devrais remercier celui qui, le premier, a rêvé un nouveau roman de ma façon, puisque ce rêve m’a valu un nouveau témoignage, bien précieux, de votre inépuisable bonté pour moi. Mais, hélas ! ou plutôt heureusement, ce roman n’existe pas même en projet. Je sens même, dans cette occasion plus que jamais, combien la pensée de tenter une seconde fois le public par un ouvrage de ce genre est loin de moi, puisque si quelque chose pouvait me la donner, certes, ce serait la perspective d’avoir une fois encore un aussi sûr et aussi élégant interprète. » (Milan, 3 avril 1839.)

Le marquis de Montgrand mourut le 19 août 1847, à sa terre de St-Menet : « Ses vertus privées et les services qu’il avait rendus dans ses fonctions publiques, dit l’Encyclopédie biographique du XIXe siècle, lui avaient valu un grand nombre d’amis sincères et une foule d’appréciateurs dans toutes les classes de la société ; aussi ses funérailles ont-elles donné lieu aux manifestations les plus émouvantes. Les personnages les plus considérables de Marseille, à