Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/253

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neur, mon enfant ; l’honneur. » Mais, lorsque Renzo, arrêtant toute son attention sur trois individus qui venaient la figure animée, entendit qu’ils parlaient d’un four, de farine cachée, de justice, il se mit à leur faire des signes de tous les traits de son visage, et à tousser de cette certaine manière qui indique tout autre chose qu’un rhume. Ceux-ci regardèrent plus attentivement le convoi, et s’arrêtent ; avec eux s’en arrêtent d’autres qui arrivaient ; d’autres qui avaient déjà passé, revenaient sur leurs pas au bourdonnement qu’ils entendaient, et faisaient queue.

« Prenez garde, mon enfant ; prudence : vous n’en seriez que plus mal, voyez-vous ; ne gâtez pas votre affaire ; l’honneur, la réputation, » continuait à lui dire tout bas le notaire. Renzo n’en faisait que pire. Les sbires, après s’être consultés de l’œil, croyant bien faire (tout homme est sujet à erreur), donnèrent un tour de manchettes.

« Aïe ! aïe ! aïe ! » crie le patient. À ce cri, on s’attroupe autour de lui ; on arrive de tous les côtés de la rue : le convoi se trouve arrêté. « C’est un mauvais sujet, disait à demi-voix le notaire à ceux qui déjà étaient sur lui : c’est un voleur pris sur le fait. Retirez-vous, laissez passer la justice. » Mais Renzo, voyant le moment propice, voyant les sbires changer de couleur, se dit : « Si je ne m’aide moi-même actuellement, mon mal sera de ma faute. » Et aussitôt il éleva la voix : « Braves gens ! on me mène en prison parce que hier j’ai crié : Pain et justice ! Je n’ai point fait de mal ; je suis honnête homme. Venez à mon aide, ne m’abandonnez pas, braves gens ! »

Un murmure favorable, des voix plus distinctes de protection s’élevèrent en réponse : les sbires ordonnent d’abord, puis ils demandent, puis ils prient ceux qui sont le plus près d’eux qu’on s’en aille et qu’on fasse place : tout au contraire, on les presse, on les serre de plus en plus. Voyant alors comme cela tourne à mal, ils laissent aller les manchettes et ne songent plus qu’à se perdre dans la foule, pour en sortir sans être remarqués. Le notaire désirait ardemment en faire de même ; mais la chose était difficile, à cause de son manteau noir. Le pauvre homme, pâle et tremblant, cherchait à se faire petit, se pliait en deux pour s’esquiver ; mais il ne pouvait lever les yeux sans en voir vingt arrêtés sur lui. Il cherchait tous les moyens de paraître un étranger, qui, pas-