connaître les affaires des autres ; mais quand on y joue sa peau, on aurait pourtant bien le droit d’en savoir quelque chose. Si c’était réellement pour aller chercher cette pauvre créature, patience ! quoiqu’il eût bien pu l’amener tout simplement lui-même. Et puis, s’il est si bien converti, s’il est devenu un père de l’Église, qu’avait-on besoin de moi ? Oh ! quel chaos ! Enfin, fasse le ciel que ce soit ainsi ! La corvée aura été rude ; mais patience ! J’en serai tout de même bien aise pour cette pauvre Lucia ; elle aussi l’aura échappé belle. Dieu sait ce qu’elle aura souffert ; je la plains ; mais cette fille est née pour ma perte… Si au moins je pouvais voir bien véritablement dans le cœur de cet homme ce qu’il pense ! Qui peut le comprendre ? Là, voyez : tantôt on dirait un saint Antoine dans le désert, tantôt Holopherne en personne. Oh ! pauvre homme, pauvre homme que je suis ! Enfin, le ciel est obligé de me venir en aide ; car ce n’est point par un caprice à moi que je me trouve là-dedans. »
En effet, on voyait, pour ainsi dire, passer sur le visage de l’Innomé les pensées qui agitaient son âme, comme on voit, à l’heure de la tempête, les nuages courir devant le disque du soleil, faisant à tout moment succéder à un jour faux et menaçant une sorte de nuit et sa sombre froideur. Son esprit, encore enivré des douces paroles de Frédéric, et comme renouvelé et rajeuni dans une vie toute nouvelle, s’élevait à ces idées, qui lui avaient été offertes, de miséricorde, de pardon et d’amour ; puis il retombait sous le poids du terrible passé. Il courait, son esprit, il courait avec anxiété chercher parmi ses iniquités ce qu’il y aurait de réparable, quelles entreprises pourraient être interrompues, quels remèdes seraient les plus efficaces et les plus sûrs, comment il romprait tant de nœuds, ce qu’il ferait de tant de complices ; c’était à s’y perdre que d’y penser. Dans cette expédition même où il allait en ce moment, la plus facile, sans doute,