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Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/369

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moins que cette figure-là ; je le comprends fort bien ; mais pourquoi faut-il que ce soit moi qui me trouve parmi de tels personnages ? »

Cependant on arriva au bas de la descente, et l’on finit aussi par sortir de la vallée. Le front de l’Innomé allait se déridant. Don Abbondio, lui-même, montra un visage plus naturel ; il dégagea un peu sa tête d’entre ses épaules, laissa plus de jeu à ses bras et à ses jambes, se tint un peu mieux sur ses reins, ce qui le faisait paraître tout autre, et sa respiration devint plus large et plus facile. Mais, à tête plus reposée, il se mit alors à considérer d’autres dangers lointains. « Que dira cet animal de don Rodrigo ? Rester ainsi avec un pied de nez, ayant tout à la fois le dommage et les railleries, jugez si la chose va lui paraître amère. C’est maintenant qu’il va tout de bon faire le diable. Pourvu qu’il ne s’en prenne pas à moi, pour m’être trouvé dans tout ceci ! S’il a bien eu le cœur, dans le principe, d’envoyer ces deux démons sur mon chemin, qui sait aujourd’hui tout ce qu’il pourra faire ? Il n’ira pas s’attaquer à son Illustrissime Seigneurie ; le morceau est trop dur pour lui, et là il lui faudra ronger son frein. Mais il n’en aura pas moins la rage dans le corps, et il la voudra passer sur quelqu’un. Comment finissent toujours ces sortes d’affaires ? Les coups tombent en bas, les chiffons sont jetés en l’air. Son Illustrissime Seigneurie, comme de raison, songera à mettre Lucia en lieu de sûreté ; cet autre pauvre diable, si malencontreux pour moi, ne peut être atteint et a déjà eu sa part ; et voilà que c’est moi qui deviens le chiffon. Il serait cruel, après tant de dérangement, tant d’agitation, et sans mérite qui m’en revienne, que ce fût moi qui eusse à payer pour tous. Que fera son Illustrissime Seigneurie pour me défendre, après m’avoir mis dans le pétrin ? Peut-elle me garantir que ce damné ne me jouera pas un tour pire que le premier ? Et puis, Monseigneur a tant d’affaires en tête ! Il met la main à tant de choses ! Comment songer à tout ? Et voilà comme souvent on laisse les choses plus embrouillées qu’elles n’étaient d’abord. Ceux qui font le bien le font en gros : quand ils ont goûté cette satisfaction, cela leur suffit, et ils ne veulent pas s’ennuyer à suivre toutes les conséquences ; mais ceux qui prennent plaisir à faire le mal y mettent plus de soin, ils suivent leur affaire jusqu’au bout, ne s’y donnent point de repos, parce qu’ils ont ce chancre qui les ronge. Dois-je aller dire que je suis venu ici par ordre exprès de son Illustrissime Seigneurie, et non de mon propre gré ? Il semblerait que je veux me mettre du côté de l’iniquité. Oh ! bon Dieu ! Moi, du côté de l’iniquité ! Pour les agréments qu’elle me procure ! Enfin, ce qu’il y aura de mieux sera de raconter à Perpetua la chose comme elle est, et puis de laisser faire sa langue. Pourvu que l’envie ne vienne pas à Monseigneur de donner de la publicité à cette histoire, de faire quelque scène inutile et de me camper dedans. En attendant, dès que nous allons être arrivés, s’il est sorti de l’église, je vais bien vite lui tirer ma révérence ; s’il ne l’est pas, je charge quelqu’un de m’excuser auprès de lui, et je prends tout droit le chemin du logis. Lucia est bien appuyée ; on n’a plus besoin de moi, et après tant de tracas je puis bien aussi prétendre à m’aller un peu reposer. Et puis… si Monseigneur allait avoir la curiosité de savoir toute l’histoire, et qu’il me fallût rendre compte de l’affaire du mariage ! Il ne manquerait plus que cela.