Du reste, une grande amitié s’était promptement établie entre elles et leurs hôtes ; et où s’établirait l’amitié, si ce n’est entre les auteurs d’un bienfait et ceux qui le reçoivent, lorsque les uns et les autres sont de braves gens ? Agnese notamment faisait de grandes causeries avec la maîtresse du logis. Le tailleur ensuite leur donnait pour délassement des histoires et des discours de morale, et c’était surtout à dîner qu’il avait toujours quelque chose de beau à raconter de Bodo, d’Antona et des Pères du désert.
Non loin de ce village habitait dans sa villa, pendant la saison des champs, un couple de haute condition, don Ferrante et dona Prassède ; leur nom de famille est, comme à l’ordinaire, resté au bout de la plume de l’anonyme. Dona Prassède était une vieille dame fort portée à faire du bien, occupation la plus louable sans doute à laquelle l’homme puisse se livrer, mais que trop souvent il peut aussi gâter, comme il en gâte tant d’autres. Pour faire le bien, il faut le connaître, et, comme toute autre chose, nous ne pouvons le connaître qu’au milieu de nos passions, guidés par nos jugements, inspirés par nos idées dont la justesse est souvent fort chanceuse. Dona Prassède faisait pour les idées ce qu’on dit qu’il faut faire pour les amis : elle en avait peu, mais elle y était fort attachée. Parmi le peu qu’elle en avait, il s’en trouvait malheureusement un certain nombre de travers, et ce n’étaient pas celles qu’elle affectionnait le moins. En conséquence, il lui arrivait, tantôt de se proposer comme bien ce qui ne l’était pas, tantôt de prendre pour des moyens de parvenir à un but ce qui pouvait plutôt conduire à un résultat tout contraire, ou bien de considérer comme licites des voies qui ne l’étaient point (suivant en cela un certain principe qu’elle entrevoyait comme juste et d’après lequel celui qui fait plus que son devoir pourrait, par cela même, aller au-delà de son droit), ou bien encore de ne pas voir dans un fait ce qu’il y avait réellement et d’y voir ce qui n’y était pas ; toutes ces choses lui arrivaient et plusieurs autres semblables auxquelles tous les hommes sont sujets, sans en exempter les plus sages et les meilleurs ; mais elles arrivaient un peu trop souvent à dona Prassède, et bien des fois aussi toutes ensemble.
En entendant raconter la grande aventure de Lucia, et d’après tout ce qu’on disait de la jeune villageoise, elle fut curieuse de la voir, et elle envoya une