Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/430

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dant longtemps, prévaloir leur façon de penser et forcer la main, comme on dit dans ce pays-là même, à ceux qui faisaient les lois.

Ainsi, pour en revenir à nous, les fruits principaux de l’émeute furent, en fin de compte, les deux que voici : gaspillage et perte effective de vivres dans l’émeute même ; consommation large, irréfléchie, sans mesure, tant que dura le tarif, et cela au détriment de ce peu de grains qui devait pourtant conduire jusqu’à la nouvelle récolte. À ces effets généraux il faut ajouter le supplice de quatre malheureux, pendus comme chefs du tumulte, deux devant le four des Béquilles et les deux autres au bout de la rue où était située la maison du vicaire de provision.

Du reste, les relations historiques de ce temps-là sont tellement faites à l’aventure que l’on n’y voit nulle part quand et comment finit ce tarif arbitraire. Si, à défaut de notions positives, il nous est permis d’avancer des conjectures, nous inclinons à croire qu’il fut supprimé peu avant ou peu après le 24 décembre, qui fut le jour de l’exécution des quatre condamnés. Et quant aux ordonnances, depuis la dernière que nous avons citée, du 22 du même mois, nous n’en trouvons plus d’autres concernant les subsistances, soit qu’on les ait laissées se perdre ou qu’elles aient échappé à nos recherches ; on sait encore que le gouvernement, sinon éclairé, au moins découragé par l’inefficacité des moyens qu’il avait mis en œuvre, et dominé par la force des choses, avait abandonné les événements à leur propre cours. Mais ce que nous trouvons dans les relations de plus d’un historien (d’après le penchant qu’ils avaient tous à décrire les faits d’une grande importance plutôt qu’à signaler leurs causes et leur développement progressif), c’est le tableau que présenta la contrée et surtout la ville, et lorsque le principe du mal, c’est-à-dire la disproportion entre les besoins et les ressources eut amené ses inévitables conséquences. Cette disproportion déjà trop réelle avait encore été augmentée, bien loin d’être détruite, par les remèdes qui en avaient suspendu momentanément les effets ; elle n’avait pu être corrigée par les importations du dehors que rendaient insignifiantes l’insuffisance des moyens publics et particuliers, la pénurie des pays circonvoisins, la pauvreté, la lenteur, les entraves du commerce et les lois même conçues dans le but de produire et de maintenir l’abaissement des prix. Il fallait donc nécessairement qu’avant peu cette vraie cause de la disette, ou pour mieux dire la disette elle-même, se fît sentir dans toute sa violence. C’est ce qui arriva vers la fin de l’hiver et dans le printemps, et c’est, nous venons de le dire, des souffrances du pays à cette époque que les historiens se sont surtout attachés à tracer le douloureux tableau : en voici la triste copie.

À tous les pas, des boutiques fermées ; les fabriques en grande partie désertes ; dans les rues, un spectacle perpétuel de misères, une succession continue de douleurs ; les mendiants de profession, devenus aujourd’hui les moins nombreux, mêlés, perdus dans une nouvelle multitude de pauvres et réduits à disputer l’aumône à ceux de qui en d’autres temps ils l’avaient reçue. Des garçons de boutique et des commis de comptoir, congédiés par leurs maîtres qui voyaient leurs profits journaliers diminués ou tout à fait anéantis, et vivaient