de loin leurs nourrissons dont les cris exprimaient la souffrance, et qui, mal enveloppés dans des langes réduits en lambeaux, étaient, par langueur, repliés sur eux-mêmes dans les mains défaillantes qui appelaient sur eux la pitié.
Ainsi se passèrent l’hiver et le printemps. Depuis quelque temps déjà le tribunal de santé représentait au tribunal de provision qu’une aussi grande misère amassée et répandue partout dans la ville la menaçait d’une maladie contagieuse, et il proposait que les mendiants fussent recueillis dans divers hospices. Pendant qu’on examine ce projet, qu’on l’approuve, qu’on s’occupe du choix des locaux et des moyens d’exécution, les cadavres encombrent les rues chaque jour davantage, et toutes les autres misères augmentent dans la même mesure. Dans le tribunal de provision, on propose, comme un expédient plus prompt et plus facile, de réunir tous les mendiants, valides ou malades, dans un seul lieu, dans le lazaret, où ils seraient nourris et soignés aux frais du trésor public ; et c’est le parti auquel on s’arrête, contre l’avis du tribunal de santé, lequel objectait qu’une aussi grande réunion de personnes ne pourrait qu’augmenter le danger que l’on voulait prévenir.
Le lazaret de Milan (pour prévoir le cas où cette histoire tomberait dans les mains de quelqu’un qui ne le connaîtrait ni pour l’avoir vu, ni par la description qui lui en aurait été faite) est un enclos à quatre côtés presque égaux, situé hors de la ville, à gauche de la porte dite orientale, éloigné du rempart de tout l’espace que comprennent le fossé, un chemin de circonvallation et un autre petit fossé creusé tout autour de l’enclos même. Les deux plus grands côtés ont à peu près cinq cents pas de longueur ; les deux autres, peut-être quinze de moins ; tous les quatre, dans la partie extérieure, sont divisés en petites chambres de plain-pied avec le sol et sans autre étage au-dessus ; en dedans règne sur trois de ces côtés un portique continu, voûté et soutenu par de petites colonnes assez grêles.
Les chambres étaient au nombre de deux cent quatre-vingt huit, ou peut-être un peu moins. De nos jours, une grande ouverture pratiquée au milieu, et une autre plus petite dans un coin de la façade du côté qui longe la grande route, ont pris je ne sais combien de ces chambres. Dans le temps auquel se rapporte notre histoire, il n’y avait que deux entrées, l’une au milieu, du côté qui fait face aux murs de la ville, l’autre vis-à-vis, dans la partie opposée. Au centre de l’espace intérieur s’élevait une petite église, de forme octogone, qui subsiste encore.
La destination primitive de tout l’édifice, commencé en l’année 1489, avec les fonds provenant d’un legs particulier, et continué ensuite au moyen des subventions de l’administration publique ainsi que par les ressources que fournirent d’autres legs et donations, fut, ainsi que son nom l’indique, d’y recueillir, lorsque le cas s’en présentait, les personnes atteintes de la peste, maladie qui, longtemps avant cette époque, se montrait, comme elle s’est montrée longtemps encore après, deux, quatre, six, huit fois par siècle, tantôt sur tel point de l’Europe, tantôt sur tel autre, en embrassant quelquefois une grande partie, ou même la parcourant tout entière et dans tous les sens. Dans le