Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

femme… De sa bouche sortait de l’herbe à demi rongée, et sur ses lèvres la rage semblait faire encore un effort. Elle avait un petit paquet sur ses épaules, et au-devant d’elle était attaché dans des langes un enfant qui par ses cris demandait le sein… Des personnes compatissantes étaient survenues, qui, ayant ramassé ce malheureux petit être, l’emportaient, faisant pour lui l’office de mère. »

Ce contraste de haillons et de parures, de misère et de superfluités, que l’on voit habituellement dans les temps ordinaires, avait alors complètement cessé. La misère et les haillons étaient presque partout, et l’on ne s’en distinguait que par un extérieur de la médiocrité la plus simple. On voyait les nobles vêtus d’un habit modeste, ou même usé et mal soigné ; les uns, parce que les causes générales de l’infortune publique avaient atteint leur fortune jusqu’à les contraindre à ce changement, ou bien avaient porté le dernier coup à des fortunes déjà dérangées ; les autres, parce qu’ils craignaient d’aigrir par des dehors fastueux le désespoir de tout un peuple, ou qu’ils eussent rougi d’insulter à son malheur. Ces tyrans odieux et respectés par crainte, qui n’avaient jamais marché qu’avec une troupe de bravi à leur suite, allaient aujourd’hui presque seuls, la tête basse, et avec une physionomie qui semblait offrir et demander la paix. D’autres qui, au temps de la prospérité, avaient eu des sentiments plus humains et de plus honnêtes habitudes, se montraient maintenant eux-mêmes abattus, consternés, et comme ne pouvant soutenir la vue d’une calamité qui excédait, non-seulement la possibilité de l’assistance, mais je dirais presque les forces de la commisération. Celui qui avait les moyens de faire quelque aumône était cependant obligé à un triste choix entre la faim et la faim, entre l’urgence et une urgence plus grande ; et une main compatissante ne s’était pas plus tôt baissée sur la main d’un malheureux, qu’une lutte entre les autres malheureux s’élevait tout à l’entour. Ceux à qui il restait un peu de force s’avançaient pour demander avec plus d’instances ; les plus exténués, les vieillards, les enfants, tendaient leurs mains décharnées ; les mères élevaient en l’air et présentaient