mois ces deux hommes, voyant venir un horrible fléau, travaillant de tous leurs moyens à le détourner, mais ne rencontrant qu’obstacles là où ils cherchaient du secours, ne recueillant pour récompense que des clameurs hostiles, que d’être signalés comme ennemis de la patrie : pro patriæ hostibus, dit Ripamonti.
Cette haine s’étendait aux autres médecins qui, convaincus comme les deux premiers, de la réalité de la contagion, conseillaient des précautions, et cherchaient à faire partager à leurs concitoyens cette douloureuse conviction dans laquelle ils étaient eux-mêmes. Les plus modérés parmi leurs censeurs les taxaient de crédulité et d’obstination : aux yeux de tous les autres, il y avait évidemment de leur part imposture et complot bien ourdi pour spéculer sur la frayeur publique.
L’archiâtre Louis Settala, alors presque octogénaire, d’abord professeur de médecine à l’université de Pavie, puis, de philosophie morale à Milan, auteur de plusieurs ouvrages fort estimés à cette époque, appelé à occuper des chaires dans d’autres universités, à Ingolstadt, à Pise, à Bologne, à Padoue, et non moins recommandé aux suffrages de l’opinion par le refus de ces honneurs que par l’offre qui lui en avait été faite, était sans contredit l’un des hommes les plus considérés de son temps. À sa réputation de science se joignait celle que lui donnait une vie toute honorable, et l’admiration que l’on avait pour lui était accompagnée d’une véritable affection, bien méritée par la grande charité avec laquelle il prodiguait aux pauvres et les soins de son art et tous autres secours. Il y avait d’ailleurs en lui ce qui pour nous, sans doute, mêle de quelque chose de pénible le sentiment d’estime qu’inspirent ces qualités, mais ce qui alors devait lui concilier ce sentiment d’une manière plus puissante encore et plus générale : le pauvre homme partageait les préjugés les plus communs et les plus funestes de ses contemporains ; il était à la vérité sur les premiers rangs de la foule, mais sans s’éloigner d’elle, c’est-à-dire sans se donner ce genre de distinction qui attire les désagréments et fait bien souvent perdre cette autorité morale que par d’autres actes on a su acquérir ; et, malgré tout cela, celle dont il jouissait, quelque grande qu’elle fût, ne put non-seulement tenir, dans cette circonstance, contre les idées du profane vulgaire, comme l’appellent les poëtes, ou du respectable public, comme disent les directeurs de comédie ; mais elle fut même insuffisante pour le sauver de l’animosité et des insultes de cette partie de la masse ainsi qualifiée, qui va le plus vite de la pensée à l’action dans les jugements qu’elle porte.