Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/561

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Renzo, dont les yeux étaient pleins de larmes tout comme s’il eût été l’un de ceux à qui cette demande si extraordinaire de pardon était adressée, se rangea comme les autres et fut se placer sur le côté d’une baraque. Ainsi posté, il attendit qu’on défilât, se tenant à demi caché, le corps en arrière, la tête en avant, regardant de tous ses yeux, avec un grand battement de cœur, mais aussi avec une certaine confiance qu’il n’avait pas encore éprouvée et qui naissait, je crois, de l’attendrissement produit dans son âme par les paroles qu’il venait d’entendre et par l’attendrissement général dont il avait autour de lui le spectacle.

Cependant le père Félix arrivait, pieds nus, sa corde au cou, sa haute et pesante croix dans les mains ; sur son visage pâle et maigre respiraient tout à la fois le courage et la componction ; son pas était lent, mais ferme, le pas d’un homme qui songeait surtout à ménager la faiblesse des autres, et tout le montrait comme puisant sa force dans un surcroît même de fatigues et de souffrances pour soutenir celles, en si grand nombre, dont le poids incessant formait l’attribut de l’office qu’il remplissait. Immédiatement après lui marchaient les jeunes garçons un peu grands, la plupart nu-pieds, quelques-uns seulement velus à plein, plusieurs couverts d’une simple chemise. Puis venaient les femmes, donnant presque toutes la main à une petite fille, et chantant alternativement entre elles le Miserere ; et le son faible de ces voix, la pâleur et l’air languissant de ces visages étaient bien de nature à remplir de pitié l’âme de quiconque se fût trouvé là comme simple spectateur. Mais ce n’était point comme tel que s’y trouvait Renzo. Tout entier à sa pensée, il regardait, examinait, de rang en rang, de figure en figure, sans en oublier une seule, car la marche fort lente de la procession lui donnait pour cela toute facilité. On passe, on passe ; il regarde, il regarde toujours sans fruit. De temps en temps il jetait rapidement un coup d’œil sur ce qui restait de femmes en arrière et en voyait le nombre s’amoindrir. Déjà les derniers rangs s’approchent, le dernier de tous arrive ; tous sont passés, il n’a vu que des figures inconnues. Les bras pendants, la tête penchée sur l’épaule, il demeura l’œil attaché sur cette troupe de femmes, pendant qu’elle s’éloignait et que celle des hommes passait. Son attention, cependant, fut de nouveau éveillée, quelque espoir lui revint, lorsque parurent, après les hommes, un certain nombre de chariots amenant les convalescents qui n’étaient pas encore en état de marcher. Là les femmes venaient les dernières, et le convoi allait si lentement que Renzo put, comme tout à l’heure, les examiner toutes sans qu’aucune échappât à son inspection. Mais quoi ! il inspecte le premier chariot, le second, le troisième et ainsi de suite sans plus de succès, jusqu’au dernier, derrière lequel ne venait plus qu’un autre capucin, à l’air grave, un bâton à la main, comme étant là pour régler la marche. C’était ce père Michel que nous avons dit avoir été donné pour second au père Félix dans le gouvernement du lazaret.

Ainsi s’évanouit tout à fait cette douce espérance à laquelle notre pauvre jeune homme avait un moment ouvert son cœur ; et, en se dissipant, elle n’emporta pas seulement le bien qu’il en avait ressenti, mais, comme cela arrive