Page:Alexandri - Les Doïnas, 1855.djvu/140

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sainte Vierge pour le sang que vous faites répandre. »

Lapuchneano ouvrit ses bras avec un air sombre. Roxandre tomba à ses pieds.

« Ô mon bon et doux seigneur ! mon vaillant époux ! poursuivit-elle ; assez de veuves comme cela ; assez d’orphelins et de sang répandu ! Songez donc que Votre Altesse est toute-puissante et que quelques malheureux boyards ne peuvent vous nuire. Que manque-t-il à votre bonheur ? Vous n’êtes en guerre avec personne ; le pays est tranquille et soumis ; moi-même… ah ! Dieu le sait, combien je vous aime ! vos enfants sont beaux et jeunes. Songez qu’après la vie vient la mort, qu’il vous sera alors demandé un compte terrible du sang que vous faites répandre ; car ce ne sont pas quelques monastères que vous aurez fait bâtir qui pourront le racheter ; bien au contraire, c’est offenser le Très-Haut que de croire qu’on apaise sa colère en lui élevant des temples, et…

— Femme insensée ! s’écria Lapuchneano se redressant soudain de toute sa hauteur, et sa main, par habitude, se porta à la garde d’un poignard caché dans sa ceinture ; mais il se contint, et, se baissant pour relever Roxandre :

— Princesse, lui dit-il, que jamais plus de pareils propos ne sortent de votre bouche, ou, par le Dieu vivant ! je ne sais ce qui pourra arriver. Rendez grâces aujourd’hui à saint Démètre, le grand martyr, dispensateur du myre et patron de l’église que nous lui avons fait bâtir à Pangaratzi ; rendez-lui grâces de ce qu’il nous a empêché de commettre un péché en nous rappelant que vous êtes la mère de nos enfants.

— Dussé-je mourir, et mourir par vos mains, je ne