Page:Alexandri - Les Doïnas, 1855.djvu/141

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puis me taire. Hier, au moment où j’allais rentrer chez moi, une dame s’est jetée avec cinq enfants devant mon radvan[1] et m’a arrêtée pour me montrer une tête clouée à la porte de votre palais. « Vous en répondrez devant Dieu, m’a-t-elle dit ; oui, vous aurez à rendre compte, madame, de ce que vous n’empêchez pas votre époux de tuer impitoyablement nos pères, nos maris et nos frères. Voyez-vous cette tête, c’est celle de mon mari, le père de ces cinq enfants restés aujourd’hui orphelins ! » Et elle me montrait de la main la tête dégouttant encore de sang ; et la tête me fixait d’une manière horrible ! Ah ! seigneur, depuis cet instant, cette tête est sans cesse devant mes yeux ; j’en ai peur ! je ne puis avoir de repos.

— Eh bien ! que me demandez-vous, que voulez-vous de moi ? lui demanda Lapuchneano.

— Je veux que vous ne répandiez plus de sang ; que vous fassiez cesser ces massacres ; que je ne voie plus de têtes coupées, car mon cœur se brise.

— Je vous promets qu’à partir d’après-demain vous n’en verrez plus, répondit Lapuchneano ; je vous prépare en même temps pour demain un bon remède contre la peur.

— Comment ! que voulez-vous dire ?

— Soyez tranquille ; demain, vous le saurez. Aujourd’hui, chère princesse, allez soigner les enfants et la maison, ainsi qu’il convient à une bonne ménagère ; disposez tout pour le dîner que je veux donner demain aux boyards. »

La princesse Roxandre sortit après lui avoir de nou-

  1. Voiture princière dans la forme des chaises à porteur.