Page:Alexandri - Les Doïnas, 1855.djvu/18

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que, tant qu’ils ont conservé leur nationalité, malgré les maux qui ont si fatalement pesé sur eux, les Roumans ne sont jamais restés en arrière des progrès qui s’opéraient en Europe. Mais arrive l’oppression de la servitude Fanariote, à l’instant tout progrès disparaît et il se fait nuit complète en Roumanie pendant plus d’un siècle. Nous tombâmes si bas que nous eûmes presque horreur de nous-mêmes. L’Europe ne se souvint plus que nous faisions partie de la grande famille latine et, comme l’observe fort judicieusement M. Saint-Marc-Girardin, dans ses souvenirs de voyage, elle allait jusqu’à croire que les Moldaves et les Valaques étaient des Turcs ou des Slaves.

Tel fut, mon cher monsieur Weill, l’état de la Roumanie jusqu’en 1822, époque où la révolution de Vladimiresco, chassant les Fanariotes, nous fit reconquérir notre existence d’avant 1700. Ce n’est donc que depuis trente ans que notre patrie est rentrée dans la voie du progrès et de la civilisation ; ce n’est que depuis cette époque que nous assistons au consolant spectacle de la régénération de la pensée nationale. Je ne parle ici que de la Moldo-Valachie, car, pour la Transylvanie et la Bucovine, elles se ressentent naturellement de l’action du gouvernement autrichien ; et, quant à la Bessarabie, elle fait, depuis 1812, partie de la Russie.

Je n’ai pas besoin, je pense, de vous citer une à une les nombreuses entraves qui ont été apportées au développement de cette pensée dans notre pays ; et, cependant, il s’est fait dans l’espace de ces trente dernières années un travail intellectuel tel, qu’il y aurait injustice à le croire tout-à-fait indigne de l’attention de l’Europe. Au risque d’être taxé de présomption, j’oserai encore affirmer qu’il est peu de peuples qui, dans les mêmes conditions et toutes proportions gardées, aient avancé autant que nous. Chez toutes les nations qui commencent, la poésie tient le premier rang ; aussi est-ce vers la poésie