Page:Alexandri - Les Doïnas, 1855.djvu/31

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Elle n’entend plus, elle ne voit plus, tant elle court follement ; on dirait, à la voir, un esprit de l’autre monde emporté par la terreur, tant elle se précipite ardemment vers le but éloigné, à la voix de l’espérance qui la pousse en avant.

Encore dix pas à faire, dix pas difficiles à franchir, puis elle pourra caresser son bien-aimé, le soigner comme une fleur, le préserver par ses exorcismes du mauvais œil, des destinées cruelles et de la morsure des serpents.

Deux pas encore… Ah ! le coq éveillé chante tout à coup dans le bois, et Satan le maudit se lance avec sa victime dans les profondeurs de l’étang.

L’eau rebondit en flots écumeux et bouillonne après la chute des corps, puis, tournoyant en larges cercles liquides, elle oscille avec un bruit sourd entre le rivage et les roseaux.

Puis elle se calme par degrés, se balance lentement et reflète avec amour le disque pâli de la lune, dont la lumière argentée lutte avec les premiers rayons du jour…

Lorsque le voyageur attardé passe en sifflant pendant la nuit aux bords de cet étang, il entend par moments d’étranges chuchotements au sein des roseaux, puis une voix plaintive qui dit ces paroles :

« Viens à moi, mon brave chéri ; viens, je chanterai pour toi la nuit de douces chansons, et je te soignerai comme une fleur, et je te préserverai par mes exorcismes du mauvais œil, des destinées cruelles et de la morsure des serpents. »