Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/316

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Nous n’aurons pour tous bruits que la plainte de l’onde,
Le vent, le chant lointain de quelque fille blonde,
Accompagné des coups réguliers du battoir
Et des grelots des bœufs qui vont à l’abreuvoir.

Oh ! viens, nous nous perdrons follement dans les herbes,
De verdure et de fleurs cueillant de grosses gerbes ;
Puis, nous irons à l’ombre ensuite nous asseoir
Et nouer en bouquets nos bleuets jusqu’au soir.
Viens vite… Mais pourquoi sur ton lit, ô poète,
Rester les yeux en pleurs et la bouche muette ?
Quel cauchemar a donc enfanté ton sommeil,
Pour demeurer ainsi morne et pâle au réveil ?
Pleures-tu les vers faux écrits dans ta jeunesse ?
Entre les bras d’un autre, as-tu vu ta maîtresse ?
Un maladroit, du coude, aurait-il sur le sol
Versé ton verre plein d’un vieux vin espagnol ?
N’importe ! puisqu’au fond de la lointaine allée,
Pensif, tu ne viens pas errer sous la feuillée,
Frère, puisqu’il te plaît de rester aujourd’hui,
Je veux par mon babil égayer ton ennui.

Fais-moi place, parlons de tes jeunes années,
De ces heures d’amour de roses couronnées ;
Parlons de Gratienne, et redis-moi tout bas
Ce que chantait ton cœur, quand tu suivais ses pas.
Dis-moi quel soir brûlant et sous quelle avenue,
Comme un enfant de l’air, vague, elle est apparue ;