Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/54

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sans amis, sans femmes, ne menant pas les pieds dans les cafés ni dans les brasseries, n’ayant aucun rapport avec le monde littéraire. Les journaux, ses moyens ne lui permettaient d’en lire que rarement, et encore les lisait-il en garçon aussi peu initié que s’il vivait au fond d’un village perdu des Basses-Alpes. Sa grande occupation d’alors, son plaisir unique, était de passer des journées entières le long des quais, faisant d’interminables stations devant les bouquinistes, dévorant toute espèce de livres, à ces cabinets de lecture gratuits et en plein vent. Il était mal habillé, par exemple ! Un certain paletot surtout, un paletot verdâtre, luisant aux épaules, montrant la corde, a longtemps fait son désespoir.

Je ne le connaissais pas à cette époque. Mais que de fois, depuis dix ans, en pleine lutte littéraire, et même plus tard, à l’heure du succès, ne l’ai-je pas entendu revenir volontiers sur ces souvenirs lointains. — « Tenez ! mon cher, me disait-il encore dernièrement, je n’avais pas le sou, je ne savais pas ce que je deviendrais, mais n’importe’. c’était le bon temps !… Ah ! la jeunesse ! les premières admirations littéraires ! l’insouciance !… Quand j’avais bien lu le long des quais, ou que je revenais de quelque promenade lointaine, des bords de la Bièvre, ou de la plaine d’Ivry, je rentrais chez moi, je mangeais mes trois sous de pommes, et je travaillais… Je faisais des vers, j’écrivais