Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de grandes joies pour de petites causes. Ce ne fut jamais la misère haineuse, sans espoir. Quand Zola se reporte à ces deux années, le gourmand, en lui, peut frémir au souvenir des repas faits avec du pain et du fromage d’Italie ; mais il lui arrive aussi de soupirer, à la pensée de cette misère, si pleine de larges espérances. Pour avoir eu des commencements difficiles, il n’en regrette pas moins, comme les autres, sa vingtième année. Il faisait des vers, en ce temps-là, rien que des vers. Il écrivait plus que jamais à ses deux camarades provençaux, de ces lettres comme on n’en écrit plus par la suite, de ces effusions en dix-huit pages, où il répandait ses rêves, sa vie, ses sensations, ses agrandissements d’horizon philosophique et littéraire. La littérature, eh ! il n’y voyait pas alors une profession. Quelques strophes, une page de prose de lui imprimée dans je ne sais quelle feuille de chou de province, l’empêchaient de dormir toute une nuit, passée à se lire et à se relire. Voir son nom en haut d’une de ces couvertures jaunes, ou roses, ou vert tendre, étalées aux vitrines des librairies, cela lui paraissait un rêve aussi lointain, aussi chimérique, aussi irréalisable, que d’obtenir la main d’une princesse de maison royale l’élevant tout à coup jusqu’au trône. Mais, si pas un cheveu de sa tête ne se doutait alors qu’il vivrait on jour de cette littérature, il l’aimait déjà instinctivement, pour elle-même, avec passion. Elle était son unique compagnie, en ce temps-là, car il vivait seul,