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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

au voleur, et l’on s’était lancé des cailloux, et l’on avait descendu des pentes à pic en se laissant glisser sur le derrière ; tout cela jusqu’à la nuit, jusqu’à la rentrée terrible à l’hôtel de Beaumont, où le premier président, son père, l’avait envoyé se coucher sans dîner. Plus tard jeune homme, un fusil sur l’épaule et un livre à la main, il avait chassé dans cette colline. Plus tard, enfin, beaucoup plus tard, en uniforme de colonel chamarré d’or, il y était venu faire manœuvrer la garde nationale de la République. Aussi, depuis un moment, M. Fraque, qui s’était mis à gravir la colline des Pauvres, s’imaginait-il remonter toute son existence.

Il approchait du sommet. Déjà la flèche élancée du clocher de Saint-Jean, où il s’était marié, s’apercevait, nette, pointue dans le ciel. Puis ce fut la tour octogone de la cathédrale, plus lointaine et noyée, d’où le vent traînait comme un glas de cloches lugubres. Bientôt enfin, la ville entière, massant ses maisons dans un rayon pâle de coucher de soleil d’hiver, la ville morne et muette, assoupie dans sa ceinture vert sombre de vieux remparts couverts de lierre. À peine un peu de vie, tout là-bas, du côté de la gare, où quelques cheminées rouges de fabriques jetaient de la fumée. Mais ici, hors des remparts, au pied même de la colline des Pauvres, le cimetière : des croix, tout un peuple de croix immobile et bizarre, et, çà et là, des touffes de cyprès d’un vert noir faisant ressortir la blancheur livide des tombes.