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LES FEMMES DU PÈRE LEFÈVRE.

pour un restaurant, demandaient à voir la carte, faisaient signe à M. Lefèvre qu’elles avaient envie de manger. Lui, au bout de la table, devant son verre d’absinthe, semblait un papa radieux de réunir autour de lui ses filles, à l’occasion de quelque anniversaire. On eût pris pour une religion de la famille, le recueillement et la mansuétude avec lesquels il humait à chaque instant une prise.

— En voulez-vous ?… disait-il à ses voisines de droite et de gauche.

Et il remettait la tabatière dans sa poche, avec la paix d’une conscience qui n’a rien à se reprocher. Ce furent quelques moments d’une effusion douce. Tout son « état-major » était autour de lui à ne pas perdre un de ses gestes, à boire ses paroles. Ceux qui avaient le plus douté de lui pendant son absence, le regardaient avec des yeux particulièrement tendres. Alors papa Lefèvre, profitant de ces bonnes dispositions, dit avec bonhomie :

— Vous m’en avez fait faire un, vous autres, de métier !…

Eux ne s’imaginaient pas toutes les difficultés pour arriver à un résultat ! Et, d’un mouvement de menton, il le leur désignait, le « résultat », attablé là, en train de boire et de se bourrer. Il eût voulu voir un Coq à sa place, n’importe lequel ! avec cent soixante francs dans la poche, pas davantage ! et la commission d’embaucher des dames : tout cela, seul, sans conseil, perdu dans une grande ville, hors