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MADAME MEURIOT

Alors, haussant la voix, mais d’un ton plein de douceur et pénétré de satisfaction :

— Rosalie, ma fille, vous occupez-vous de vos pommes d’amour ?

Par une porte ouverte, on apercevait les patères de l’antichambre. La réponse de Rosalie arriva de la cuisine, dont la porte était également ouverte. Madame pouvait être tranquille les huit tomates, coupées par le milieu, se trouvaient déjà dans la casserole et elle pensait à la farce. Tout le monde lui avait fait des compliments l’autre samedi ; cette fois, elle ne réussirait pas plus mal. Elle était en train aussi de passer son poulet à la broche.

— Bien, ma fille, dit madame Honorat.

Et elle remit le nez sur son journal, au hasard. L’article politique, sur lequel elle était tombée, ne lui disait rien. Décidément, sa chère sœur aurait dû venir plus tôt, aujourd’hui qu’elle en avait long à lui conter. Le journal, cette fois, lui glissa des doigts. Elle se mit à frotter l’une contre l’autre ses deux mains, où, continuellement, depuis quelques mois, elle éprouvait une douleur vague ; elle finit par les laisser pendre, déployées, les doigts fléchis vers la paume et convulsés à chaque instant par de soudains picotements. Puis, la tête appuyée sur le dossier du fauteuil, elle regarda devant elle, par la fenêtre ouverte.

Le jour baissait. De l’autre côté de la cour, en en face d’elle, un dernier rayon pâle de soleil d’hiver abandonnait peu à peu la toiture ardoisée du sixième. Sur la fenêtre à tabatière d’une des mansardes, remuaient les gros bras rouges d’une bonne en train de faire des bottines. Les vocalises d’une voix de contralto, piochant au piano le