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MADAME MEURIOT

Honorat, blême et taquin, lui coupa la parole : ― Mais vous n’êtes pas seul, vous, à connaître le vin… Moi, mon cher, quand je colle une pièce…

Sur le collage, une altercation s’éleva entre eux. Leurs femmes s’en mêlaient. L’arrivée des fameuses tomates farcies, heureusement, coupa court. Ça, c’était encore du Midi ; mais tout le monde en raffolait. Et Rosalie était très rouge en mettant le plat sur la table. Retrouverait-elle son triomphe de l’autre samedi ?

― Mademoiselle Rosalie ! lui dit le premier l’oncle Camoin, vos pommes d’amour sont à…

Et il se baisa bruyamment le médium et l’index. C’était le sentiment unanime. Chacun en reprit. La mère Honorat en fit mettre, à temps, deux de côté pour son fils. Et sa sœur, qui parlait rarement, rappela quelque chose ne datant pas d’hier : le premier plat de tomates comme celui-ci, mangé par eux quatre, à l'Hôtel de l’Écu, à Rennes.

― Dire qu’il y a trente ans de cela, soupirait madame Honorat.

C’était effrayant. En ancienne belle femme, désolée de vieillir, madame Camoin secouait la tête.

― Même trente et un ans et demi, ajouta son beau-frère.

Et, comme elle avait l’air d’en douter, il précisa :

― En mai 1850… sous la seconde République, parbleu !… Ne sommes-nous pas sous la troisième en novembre 1881 ? Comptez !

― Elles étaient immangeables, celles de 1850 ! déclara l’oncle Camoin. Honorat, qui nous les avait