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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

elle n’a pas plus à s’en garantir qu’à les épouser. Quant à celles du Nouveau Monde, l’avenir les cache encore.

L’Union est libre d’engagements antérieurs ; elle profite donc de l’expérience des vieux peuples de l’Europe, sans être obligée, comme eux, de tirer parti du passé et de l’accommoder au présent ; ainsi qu’eux, elle n’est pas forcée d’accepter un immense héritage que lui ont légué ses pères ; mélange de gloire et de misère, d’amitiés et de haines nationales. La politique extérieure des États-Unis est éminemment expectante ; elle consiste bien plus à s’abstenir qu’à faire.

Il est donc bien difficile de savoir, quant à présent, quelle habileté développera la démocratie américaine dans la conduite des affaires extérieures de l’État. Sur ce point, ses adversaires comme ses amis doivent suspendre leur jugement.

Quant à moi, je ne ferai pas difficulté de le dire : C’est dans la direction des intérêts extérieurs de la société que les gouvernements démocratiques me paraissent décidément inférieurs aux autres. L’expérience, les mœurs et l’instruction finissent presque toujours par créer chez la démocratie cette sorte de sagesse pratique de tous les jours, et cette science des petits événements de la vie qu’on nomme le bon sens. Le bon sens suffit au train ordinaire de la société ; et chez un peuple dont l’éducation est faite, la liberté démocratique appliquée aux affaires intérieures de l’État produit plus de biens que les erreurs du gouvernement de la démocratie ne sauraient amener de maux. Mais il n’en est pas toujours ainsi dans les rapports de peuple à peuple.