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AVANTAGES DU GOUVERNEMENT, ETC.

vent retentissent en Europe ? Est-il besoin de le dire ? c’est qu’en Amérique il n’y a point de prolétaires. Chacun ayant un bien particulier à défendre, reconnaît en principe le droit de propriété.

Dans le monde politique il en est de même. En Amérique, l’homme du peuple a conçu une haute idée des droits politiques, parce qu’il a des droits politiques ; il n’attaque pas ceux d’autrui pour qu’on ne viole pas les siens. Et tandis qu’en Europe ce même homme méconnaît jusqu’à l’autorité souveraine, l’Américain se soumet sans murmurer au pouvoir du moindre de ses magistrats.

Cette vérité paraît jusque dans les plus petits détails de l’existence des peuples. En France, il y a peu de plaisirs exclusivement réservés aux classes supérieures de la société ; le pauvre est admis presque partout où le riche peut entrer : aussi le voit-on se conduire avec décence et respecter tout ce qui sert à des jouissances qu’il partage. En Angleterre, où la richesse a le privilége de la joie comme le monopole du pouvoir, on se plaint que quand le pauvre parvient à s’introduire furtivement dans le lieu destiné aux plaisirs du riche, il aime à y causer des dégâts inutiles : comment s’en étonner ? on a pris soin qu’il n’ait rien à perdre.

Le gouvernement de la démocratie fait descendre l’idée des droits politiques jusqu’au moindre des citoyens, comme la division des biens met l’idée du droit de propriété en général à la portée de tous les hommes. C’est là un de ses plus grands mérites à mes yeux.

Je ne dis point que ce soit chose aisée que d’ap-