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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

prendre à tous les hommes à se servir des droits politiques ; je dis seulement que, quand cela peut être, les effets qui en résultent sont grands.

Et j’ajoute que s’il est un siècle où une pareille entreprise doive être tentée, ce siècle est le nôtre.

Ne voyez-vous pas que les religions s’affaiblissent et que la notion divine des droits disparaît ? Ne découvrez-vous point que les mœurs s’altèrent, et qu’avec elles s’efface la notion morale des droits ?

N’apercevez-vous pas de toutes parts les croyances qui font place aux raisonnements, et les sentiments aux calculs ? Si, au milieu de cet ébranlement universel, vous ne parvenez à lier l’idée des droits à l’intérêt personnel qui s’offre comme le seul point immobile dans le cœur humain, que vous restera-t-il donc pour gouverner le monde, sinon la peur ?

Lors donc qu’on me dit que les lois sont faibles, et les gouvernés turbulents ; que les passions sont vives, et la vertu sans pouvoir, et que dans cette situation il ne faut point songer à augmenter les droits de la démocratie; je réponds que c’est à cause de ces choses mêmes que je crois qu’il faut y songer ; et, en vérité, je pense que les gouvernements y sont plus intéressés encore que la société, car les gouvernements périssent, et la société ne saurait mourir. Du reste, je ne veux point abuser de l’exemple de l’Amérique.

En Amérique, le peuple a été revêtu de droits politiques à une époque où il lui était difficile d’en faire un mauvais usage, parce que les citoyens étaient en petit nombre et simples de mœurs. En grandissant, les Américains n’ont point accru pour ainsi dire les