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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

au-delà parmi les déserts. On a calculé que sur tout ce vaste front les blancs s’avançaient chaque année, terme moyen, de sept lieues[1]. De temps en temps il se présente un obstacle : c’est un district improductif, un lac, une nation indienne qu’on rencontre inopinément sur son chemin. La colonne s’arrête alors un instant ; ses deux extrémités se courbent sur elles-mêmes et, après qu’elles se sont rejointes, on recommence à s’avancer. Il y a dans cette marche graduelle et continue de la race européenne vers les montagnes Rocheuses quelque chose de providentiel : c’est comme un déluge d’hommes qui monte sans cesse et que soulève chaque jour la main de Dieu.

Au dedans de cette première ligne de conquérants, on bâtit des villes et on fonde de vastes États. En 1790, il se trouvait à peine quelques milliers de pionniers répandus dans les vallées du Mississipi ; aujourd’hui ces mêmes vallées contiennent autant d’hommes qu’en renfermait l’Union tout entière en 1790. La population s’y élève à près de quatre millions d’habitants[2]. La ville de Washington a été fondée en 1800, au centre même de la confédération américaine ; maintenant, elle se trouve placée à l’une de ses extrémités. Les députés des derniers États de l’Ouest[3], pour venir occuper leur siège au congrès, sont déjà obligés de faire un trajet aussi long que le voyageur qui se rendrait de Vienne à Paris.

  1. Voyez Documents législatifs, 20e congrès, no 117, p. 105.
  2. 3,672,317, dénombrement de 1830.
  3. De Jefferson, capitale de l’État de Missouri, à Washington, on compte 1,019 milles, ou 420 lieues de poste. (American almanac, 1831, p 48.)