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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Inutile d’ailleurs de rechercher ce que les Américains pourraient faire en pareille matière, puisqu’il est certain que, jusqu’à présent, ils n’ont rien fait.

Il n’existe donc pas aujourd’hui en Amérique ou en Europe un seul homme qui puisse nous apprendre ce que paie annuellement chaque citoyen de l’Union, pour subvenir aux charges de la société[1].

  1. On parviendrait à connaître la somme précise que chaque citoyen français ou américain verse dans le trésor public, qu’on n’aurait encore qu’une partie de la vérité.

    Les gouvernements ne demandent pas seulement aux contribuables de l’argent, mais encore des efforts personnels qui sont appréciables en argent. L’État lève une armée ; indépendamment de la solde que la nation entière se charge de fournir, il faut encore que le soldat donne son temps, qui a une valeur plus ou moins grande suivant l’emploi qu’il en pourrait faire s’il restait libre. J’en dirai autant du service de la milice. L’homme qui fait partie de la milice consacre momentanément un temps précieux à la sûreté publique, et donne réellement à l’État ce que lui-même manque d’acquérir. J’ai cité ces exemples ; j’aurais pu en citer beaucoup d’autres. Le gouvernement de France et celui d’Amérique perçoivent des impôts de cette nature : ces impôts pèsent sur les citoyens : mais qui peut en apprécier avec exactitude le montant dans les deux pays ?

    Ce n’est pas la dernière difficulté qui vous arrête lorsque vous voulez comparer les dépenses publiques de l’Union aux nôtres. L’État se fait en France certaines obligations qu’il ne s’impose pas en Amérique, et réciproquement. Le gouvernement français paye le clergé ; le gouvernement américain abandonne ce soin aux fidèles. En Amérique, l’État se charge des pauvres ; en France, il les livre à la charité du public. Nous faisons à tous nos fonctionnaires un traitement fixe, les Américains leur permettent de percevoir certains droits. En France, les prestations en nature n’ont lieu que sur un petit nombre de routes ; aux États-Unis, sur presque tous les chemins. Nos voies sont ouvertes aux voyageurs, qui peuvent les parcourir sans rien payer ; on rencontre aux États-Unis beaucoup de routes à barrières. Toutes ces différences dans la manière dont le contribuable arrive à acquitter les charges de la société rendent la comparaison entre ces deux pays très difficile ; car il y a certaines dépenses que les citoyens ne feraient point ou qui seraient moindres, si l’État ne se chargeait d’agir en leur nom.