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DU GOUVERNEMENT DE LA DÉMOCRATIE.

Concluons qu’il est aussi difficile de comparer avec fruit les dépenses sociales des Américains aux nôtres, que la richesse de l’Union à celle de la France. J’ajoute qu’il serait même dangereux de le tenter. Quand la statistique n’est pas fondée sur des calculs rigoureusement vrais, elle égare au lieu de diriger. L’esprit se laisse prendre aisément aux faux airs d’exactitude qu’elle conserve jusque dans ses écarts, et il se repose sans trouble sur des erreurs qu’on revêt à ses yeux des formes mathématiques de la vérité.

Abandonnons donc les chiffres, et tâchons de trouver nos preuves ailleurs.

Un pays présente-t-il l’aspect de la prospérité matérielle ; après avoir payé l’État, le pauvre y conserve-t-il des ressources et le riche du superflu ; l’un et l’autre y paraissent-ils satisfaits de leur sort, et cherchent-ils chaque jour à l’améliorer encore, de telle sorte que les capitaux ne manquant jamais à l’industrie, l’industrie à son tour ne manque point aux capitaux : tels sont les signes auxquels, faute de documents positifs, il est possible de recourir pour connaître si les charges publiques qui pèsent sur un peuple sont proportionnées à sa richesse.

L’observateur qui s’en tiendrait à ces témoignages jugerait sans doute que l’Américain des États-Unis donne à l’État une moins forte part de son revenu que le Français.

Mais comment pourrait-on concevoir qu’il en fût autrement ?

Une partie de la dette française est le résultat de deux invasions ; l’Union n’a point à en craindre.