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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

beautés de la vertu ; ils n’étudiaient qu’en secret par quel côté elle est utile ; mais, à mesure que l’imagination prend un vol moins haut, et que chacun se concentre en soi-même, les moralistes s’effrayent à cette idée de sacrifice, et ils n’osent plus l’offrir à l’esprit humain ; ils se réduisent donc à rechercher si l’avantage individuel des citoyens ne serait pas de travailler au bonheur de tous, et, lorsqu’ils ont découvert un de ces points où l’intérêt particulier vient à se rencontrer avec l’intérêt général, et à s’y confondre, ils se hâtent de le mettre en lumière ; peu à peu les observations semblables se multiplient. Ce qui n’était qu’une remarque isolée devient une doctrine générale, et l’on croit enfin apercevoir que l’homme en servant ses semblables se sert lui-même, et que son intérêt particulier est de bien faire.

J’ai déjà montré, dans plusieurs endroits de cet ouvrage, comment les habitants des États-Unis savaient presque toujours combiner leur propre bien-être avec celui de leurs concitoyens. Ce que je veux remarquer ici, c’est la théorie générale à l’aide de laquelle ils y parviennent.

Aux États-Unis, on ne dit presque point que la vertu est belle. On soutient qu’elle est utile, et on le prouve tous les jours. Les moralistes américains ne prétendent pas qu’il faille se sacrifier à ses semblables, parce qu’il est grand de le faire ; mais