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SUR LES SENTIMENTS DES AMÉRICAINS.

ils disent hardiment que de pareils sacrifices sont aussi nécessaires à celui qui se les impose qu’à celui qui en profite.

Ils ont aperçu que, dans leur pays et de leur temps, l’homme était ramené vers lui-même par une force irrésistible et, perdant l’espoir de l’arrêter, ils n’ont plus songé qu’à le conduire.

Ils ne nient donc point que chaque homme ne puisse suivre son intérêt, mais ils s’évertuent à prouver que l’intérêt de chacun est d’être honnête.

Je ne veux point entrer ici dans le détail de leurs raisons, ce qui m’écarterait de mon sujet ; qu’il me suffise de dire qu’elles ont convaincu leurs concitoyens.

Il y a longtemps que Montaigne a dit : « Quand, pour sa droicture, je ne suyvray pas le droict chemin, je le suyvray pour avoir trouvé par expérience, qu’au bout du compte c’est communément le plus heureux et le plus utile. »

La doctrine de l’intérêt bien entendu n’est donc pas nouvelle, mais chez les Américains de nos jours elle a été universellement admise ; elle y est devenue populaire : on la retrouve au fond de toutes les actions ; elle perce à travers tous les discours. On ne la rencontre pas moins dans la bouche du pauvre que dans celle du riche.

En Europe, la doctrine de l’intérêt est beaucoup plus grossière qu’en Amérique, mais en même