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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

rapidité inouïe, et la puissance passe si vite de mains en mains, que nul ne doit désespérer de la saisir à son tour.

Il faut bien se souvenir d’ailleurs que les gens qui détruisent une aristocratie ont vécu sous ses lois ; ils ont vu ses splendeurs, et ils se sont laissé pénétrer, sans le savoir, par les sentiments et les idées qu’elle avait conçus. Au moment donc où une aristocratie se dissout, son esprit flotte encore sur la masse, et l’on conserve ses instincts, longtemps après qu’on l’a vaincue.

Les ambitions se montrent donc toujours fort grandes, tant que dure la révolution démocratique ; il en sera de même quelque temps encore après qu’elle est finie.

Le souvenir des événements extraordinaires dont ils ont été témoins ne s’efface point en un jour de la mémoire des hommes. Les passions que la révolution avait suggérées ne disparaissent point avec elle. Le sentiment de l’instabilité se perpétue au milieu de l’ordre. L’idée de la facilité du succès survit aux étranges vicissitudes qui l’avaient fait naître. Les désirs demeurent très-vastes alors que les moyens de les satisfaire diminuent chaque jour. Le goût des grandes fortunes subsiste, bien que les grandes fortunes deviennent rares, et l’on voit s’allumer de toutes parts des ambitions disproportionnées et malheureuses,