Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221
SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

térêts et aux désirs qui la remplissaient dans la vie civile. Ils ne prennent donc pas l’esprit de l’armée ; ils apportent plutôt au sein de l’armée l’esprit de la société et l’y conservent. Chez les peuples démocratiques, ce sont les simples soldats qui restent le plus citoyens ; c’est sur eux que les habitudes nationales gardent le plus de prise, et l’opinion publique le plus de pouvoir. C’est par les soldats qu’on peut surtout se flatter de faire pénétrer dans une armée démocratique l’amour de la liberté, et le respect des droits qu’on a su inspirer au peuple lui-même. Le contraire arrive chez les nations aristocratiques, où les soldats finissent par n’avoir plus rien de commun avec leurs concitoyens, et par vivre au milieu d’eux comme des étrangers, et souvent comme des ennemis.

Dans les armées aristocratiques, l’élément conservateur est l’officier, parce que l’officier seul a gardé des liens étroits avec la société civile, et ne quitte jamais la volonté de venir tôt ou tard y reprendre sa place ; dans les armées démocratiques, c’est le soldat, et pour des causes toutes semblables.

Il arrive souvent, au contraire, que dans ces mêmes armées démocratiques, l’officier contracte des goûts et des désirs entièrement à part de ceux de la nation. Cela se comprend.