Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
222
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Chez les peuples démocratiques, l’homme qui devient officier rompt tous les liens qui l’attachaient à la vie civile ; il en sort pour toujours, et il n’a aucun intérêt à y rentrer. Sa véritable patrie, c’est l’armée, puisqu’il n’est rien que par le rang qu’il y occupe ; il suit donc la fortune de l’armée, grandit ou s’abaisse avec elle, et c’est vers elle seule qu’il dirige désormais ses espérances. L’officier ayant des besoins fort distincts de ceux du pays, il peut se faire qu’il désire ardemment la guerre, ou travaille à une révolution dans le moment même où la nation aspire le plus à la stabilité et à la paix.

Toutefois il y a des causes qui tempèrent en lui l’humeur guerrière et inquiète. Si l’ambition est universelle et continue chez les peuples démocratiques, nous avons vu qu’elle y est rarement grande. L’homme qui, sorti des classes secondaires de la nation, est parvenu à travers les rangs inférieurs de l’armée jusqu’au grade d’officier, a déjà fait un pas immense. Il a pris pied dans une sphère supérieure à celle qu’il occupait au sein de la société civile, et il y a acquis des droits que la plupart des nations démocratiques considéreront toujours comme inaliénables[1]. Il s’arrête volontiers après

  1. La position de l’officier est, en effet, bien plus assurée chez les peuples démocratiques que chez les autres. Moins l’officier est par lui-