Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Quand les officiers d’une armée aristocratique ont perdu l’esprit guerrier et le désir de s’élever par les armes, il leur reste encore un certain respect pour l’honneur de leur ordre, et une vieille habitude d’être les premiers et de donner l’exemple. Mais lorsque les officiers d’une armée démocratique n’ont plus l’amour de la guerre et l’ambition militaire, il ne reste rien.

Je pense donc qu’un peuple démocratique qui entreprend une guerre après une longue paix, risque beaucoup plus qu’un autre d’être vaincu ; mais il ne doit pas se laisser aisément abattre par les revers, car les chances de son armée s’accroissent par la durée même de la guerre.

Lorsque la guerre, en se prolongeant, a enfin arraché tous les citoyens à leurs travaux paisibles et fait échouer leurs petites entreprises, il arrive que les mêmes passions qui leur faisaient attacher tant de prix à la paix se tournent vers les armes. La guerre, après avoir détruit toutes les industries, devient elle-même la grande et unique industrie, et c’est vers elle seule que se dirigent alors de toutes parts les ardents et ambitieux désirs que l’égalité a fait naître. C’est pourquoi ces mêmes nations démocratiques qu’on a tant de peine à entraîner sur les champs de bataille y font quelquefois des choses prodigieuses, quand on est enfin parvenu à leur mettre les armes à la main.