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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

À mesure que la guerre attire de plus en plus vers l’armée tous les regards, qu’on lui voit créer en peu de temps de grandes réputations et de grandes fortunes, l’élite de la nation prend la carrière des armes ; tous les esprits naturellement entreprenants, fiers et guerriers, que produit non plus seulement l’aristocratie, mais le pays entier, sont entraînés de ce côté.

Le nombre des concurrents aux honneurs militaires étant immense, et la guerre poussant rudement chacun à sa place, il finit toujours par se rencontrer de grands généraux. Une longue guerre produit sur une armée démocratique ce qu’une révolution produit sur le peuple lui-même. Elle brise les règles et fait surgir tous les hommes extraordinaires. Les officiers dont l’âme et le corps ont vieilli dans la paix sont écartés, se retirent ou meurent. À leur place se presse une foule d’hommes jeunes que la guerre a déjà endurcis, et dont elle a étendu et enflammé les désirs, Ceux-ci veulent grandir à tout prix et grandir sans cesse ; après eux en viennent d’autres qui ont mêmes passions et mêmes désirs ; et après ces autres-là, d’autres encore, sans trouver de limites que celles de l’armée. L’égalité permet à tous l’ambition, et la mort se charge de fournir à toutes les ambitions des chances. La mort ouvre sans cesse