Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/134

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l’état de la librairie qu’au seizième siècle et au commencement du dix-septième, il y avait des imprimeries considérables dans des villes de province qui n’ont plus d’imprimeurs ou dont les imprimeurs ne font plus rien. On ne saurait douter pourtant qu’il ne se publiât infiniment plus d’écrits de toute sorte à la fin du dix-huitième siècle qu’au seizième ; mais le mouvement de la pensée ne partait plus que du centre. Paris avait achevé de dévorer les provinces.

Au moment où la Révolution française éclate, cette première révolution est entièrement accomplie.

Le célèbre voyageur Arthur Young quitte Paris peu après la réunion des États-généraux et peu de jours avant la prise de la Bastille ; le contraste qu’il aperçoit entre ce qu’il vient de voir dans la ville et ce qu’il trouve au dehors le frappe de surprise. Dans Paris, tout était activité et bruit ; chaque moment produisait un pamphlet politique : il s’en publiait jusqu’à quatre-vingt-douze par semaine. « Jamais, dit-il, je n’ai vu un mouvement de publicité semblable, même à Londres. » Hors de Paris, tout lui semble inertie et silence ; on imprime peu de brochures et point de journaux. Les provinces, cependant, sont émues et prêtes à s’ébranler, mais immobiles ; si les citoyens s’assemblent quelquefois, c’est pour apprendre les nouvelles qu’on attend de Paris. Dans chaque ville, Young demande aux habitants ce qu’ils vont faire. « La réponse est partout la même, dit-il : « Nous ne sommes qu’une ville de province ; il faut voir ce qu’on fera à Paris. » — « Ces gens n’osent