Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/135

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pas même avoir une opinion, ajoute-t-il, jusqu’à ce qu’ils sachent ce qu’on pense à Paris. »

On s’étonne de la facilité surprenante avec laquelle l’Assemblée constituante a pu détruire d’un seul coup toutes les anciennes provinces de la France, dont plusieurs étaient plus anciennes que la monarchie, et diviser méthodiquement le royaume en quatre-vingt-trois parties distinctes, comme s’il s’était agi du sol vierge du Nouveau-Monde. Rien n’a plus surpris et même épouvanté le reste de l’Europe, qui n’était pas préparée à un pareil spectacle. « C’est la première fois, disait Burke, qu’on voit des hommes mettre en morceaux leur patrie d’une manière aussi barbare. » Il semblait, en effet, qu’on déchirât des corps vivants : on ne faisait que dépecer des morts.

Dans le temps même où Paris achevait d’acquérir ainsi au dehors la toute-puissance, on voyait s’accomplir dans son sein même un autre changement qui ne mérite pas moins de fixer l’attention de l’histoire. Au lieu de n’être qu’une ville d’échanges, d’affaires, de consommation et de plaisir, Paris achevait de devenir une ville de fabriques et de manufactures : second fait qui donnait au premier un caractère nouveau et plus formidable.

L’événement venait de très-loin ; il semble que, dès le moyen-âge Paris fût déjà la ville la plus industrieuse du royaume, comme il en était la plus grande. Ceci devient évident en approchant des temps modernes. À mesure que toutes les affaires administratives sont attirées à