Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/162

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fournit plus son argent ; on fait mieux, on se livre soi-même.

Séparé des paysans par la différence des lieux et plus encore du genre de vie, le bourgeois l’était le plus souvent aussi par l’intérêt. On se plaint avec beaucoup de justice du privilège des nobles en matière d’impôts ; mais que dire de ceux des bourgeois ? On compte par milliers les offices qui les exemptent de tout ou partie des charges publiques : celui-ci de la milice, cet autre de la corvée, ce dernier de la taille. Quelle est la paroisse, dit-on dans un écrit du temps, qui ne compte dans son sein, indépendamment des gentilshommes et des ecclésiastiques, plusieurs habitants qui se sont procuré, à l’aide de charges ou de commission, quelque exemption d’impôt ? L’une des raisons qui font de temps à autre abolir un certain nombre d’offices destinés aux bourgeois, c’est la diminution de recette qu’amène un si grand nombre d’individus soustraits à la taille. Je ne doute point que le nombre des exempts ne fût aussi grand, et souvent plus grand, dans la bourgeoisie que dans la noblesse.

Ces misérables prérogatives remplissaient d’envie ceux qui en étaient privés, et du plus égoïste orgueil ceux qui les possédaient. Il n’y a rien de plus visible, pendant tout le dix-huitième siècle, que l’hostilité des bourgeois des villes contre les paysans de leur banlieue, et la jalousie de la banlieue contre la ville. « Chacune des villes, dit Turgot, occupée de son intérêt particulier, est disposée à y sacrifier les campagnes et les villages