Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/236

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avaient ainsi exprimée, quatre cents ans auparavant, dans le français naïf et énergique de ce temps-là : Par requierre de trop grande franchise et libertés chet-on en trop grand servaige.

Il n’est pas surprenant que la noblesse et la bourgeoisie, exclues depuis si longtemps de toute vie publique, montrassent cette singulière inexpérience ; mais ce qui étonne davantage, c’est que ceux mêmes qui conduisaient les affaires, les ministres, les magistrats, les intendants, ne font guère voir plus de prévoyance. Plusieurs étaient cependant de très-habiles gens dans leur métier ; ils possédaient à fond tous les détails de l’administration publique de leur temps ; mais, quant à cette grande science du gouvernement, qui apprend à comprendre le mouvement général de la société, à juger ce qui se passe dans l’esprit des masses et à prévoir ce qui va en résulter, ils y étaient tout aussi neufs que le peuple lui-même. Il n’y a, en effet, que le jeu des institutions libres qui puisse enseigner complètement aux hommes d’État cette partie principale de leur art.

Cela se voit bien dans le mémoire que Turgot adressait au roi en 1775, où il lui conseillait, entre autres choses, de faire librement élire par toute la nation et de réunir chaque année autour de sa personne, pendant six semaines, une assemblée représentative, mais de ne lui accorder aucune puissance effective. Elle ne s’occuperait que d’administration et jamais de gouvernement, aurait plutôt des avis à donner que des volontés