Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/270

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nir un jour une nation libre que faite au nom de la souveraineté du peuple et par lui.

Il ne faut jamais perdre de vue ce qui précède, si l’on veut comprendre l’histoire de notre révolution.

Quand l’amour des Français pour la liberté politique se réveilla, ils avaient déjà conçu en matière de gouvernement un certain nombre de notions qui, non-seulement ne s’accordaient pas facilement avec l’existence d’institutions libres, mais y étaient presque contraires.

Ils avaient admis comme idéal d’une société un peuple sans autre aristocratie que celle des fonctionnaires publics, une administration unique et toute-puissante, directrice de l’État, tutrice des particuliers. En voulant être libres, ils n’entendirent point se départir de cette notion première ; ils essayèrent seulement de la concilier avec celle de la liberté.

Ils entreprirent donc de mêler ensemble une centralisation administrative sans bornes et un corps législatif prépondérant : l’administration de la bureaucratie et le gouvernement des électeurs. La nation en corps eut tous les droits de la souveraineté, chaque citoyen en particulier fut resserré dans la plus étroite dépendance : à l’une on demanda l’expérience et les vertus d’un peuple libre ; à l’autre les qualités d’un bon serviteur.

C’est ce désir d’introduire la liberté politique au milieu d’institutions et d’idées qui lui étaient étrangères ou contraires, mais dont nous avions déjà contracté l’habitude ou conçu par avance le goût, qui, depuis soixante ans, a produit tant de vains essais de gouver-