Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/269

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geois insolents et indociles. Pour moi, je crois que le roi a raison, et, puisqu’il faut servir, je pense que mieux vaut le faire sous un lion de bonne maison, et qui est né beaucoup plus fort que moi, que sous deux cents rats de mon espèce. » Et il ajoute en matière d’excuse : « Songez que je dois apprécier infiniment la grâce qu’a faite le roi à tous les seigneurs de terres de payer les frais de leurs justices. »

Voltaire, absent de Paris depuis longtemps, croyait que l’esprit public en était encore resté au point où il l’avait laissé. Il n’en était rien. Les Français ne se bornaient plus à désirer que leurs affaires fussent mieux faites ; ils commençaient à vouloir les faire eux-mêmes, et il était visible que la grande révolution que tout préparait allait avoir lieu, non-seulement avec l’assentiment du peuple, mais par ses mains.

Je pense qu’à partir de ce moment-là cette révolution radicale, qui devait confondre dans une même ruine ce que l’ancien régime contenait de plus mauvais et ce qu’il renfermait de meilleur, était désormais inévitable. Un peuple si mal préparé à agir par lui-même ne pouvait entreprendre de tout réformer à la fois sans tout détruire. Un prince absolu eût été un novateur moins dangereux. Pour moi, quand je considère que cette même révolution, qui détruit tant d’institutions, d’idées, d’habitudes contraires à la liberté, en a, d’autre part, aboli tant d’autres dont celle-ci peut à peine se passer, j’incline à croire qu’accomplie par un despote elle nous eût peut-être laissés moins impropres à deve-