Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/28

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éclater, on n’a encore aucune idée précise sur ce qu’elle va faire. Parmi la foule des cahiers, je n’en trouve que deux où se montre une certaine appréhension du peuple. Ce qu’on redoute, c’est la prépondérance que doit conserver le pouvoir royal, la cour, comme on l’appelle encore. La faiblesse et la courte durée des états généraux inquiètent. On a peur qu’on ne les violente. La noblesse est particulièrement travaillée de cette crainte. « Les troupes suisses, disent plusieurs de ces cahiers, prêteront le serment de ne jamais porter les armes contre les citoyens, même en cas d’émeute ou de révolte. » Que les états généraux soient libres, et tous les abus seront aisément détruits ; la réforme à faire est immense, mais elle est facile.

Cependant la Révolution suit son cours : à mesure que l’on voit apparaître la tête du monstre, que sa physionomie singulière et terrible se découvre ; qu’après avoir détruit les institutions politiques elle abolit les institutions civiles, après les lois change les mœurs, les usages et jusqu’à la langue ; quand, après avoir ruiné la fabrique du gouvernement, elle remue les fondements de la société et semble enfin vouloir s’en prendre à Dieu lui-même ; lorsque bientôt cette même Révolution déborde au dehors, avec des procédés inconnus jusqu’à elle, une tactique nouvelle, des maximes meurtrières, des opinions armées, comme disait Pitt, une puissance inouïe qui abat les barrières des empires, brise les couronnes, foule les peuples, et, chose étrange ! les gagne en même temps à sa cause ; à mesure que toutes ces