Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/290

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ils employaient leur rhétorique à peindre ses misères et son travail mal récompensés : ils le remplissaient de fureur en s’efforçant ainsi de le soulager. Je n’entends point parler des écrivains, mais du gouvernement, de ses principaux agents, des privilégiés eux-mêmes.

Quand le roi, treize ans avant la Révolution, essaye d’abolir la corvée, il dit dans son préambule : « À l’exception d’un petit nombre de provinces (les pays d’États), presque tous les chemins du royaume ont été faits gratuitement par la partie la plus pauvre de nos sujets. Tout le poids en est donc retombé sur ceux qui n’ont que leurs bras et ne sont intéressés que très-secondairement aux chemins ; les véritables intéressés sont les propriétaires, presque tous privilégiés, dont les biens augmentent de valeur par l’établissement des routes. En forçant le pauvre à entretenir seul celles-ci, en l’obligeant à donner son temps et son travail sans salaire, on lui enlève l’unique ressource qu’il ait contre la misère et la faim, pour le faire travailler au profit des riches. »

Quand on entreprend, dans le même temps, de faire disparaître les gênes que le système des corporations industrielles imposait aux ouvriers, on proclame, au nom du roi, « que le droit de travailler est la plus sacrée de toutes les propriétés ; que toute loi qui lui porte atteinte viole le droit naturel et doit être considérée comme nulle de soi ; que les corporations existantes sont, en outre, des institutions bizarres et tyranniques, produit de l’égoïsme, de la cupidité et de la violence. » De semblables paroles étaient périlleuses. Ce qui l’était