Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/296

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vécût dans ces contrées de l’Europe, telles que la Gallicie, où les hautes classes parlant un autre langage que les classes inférieures, ne peuvent en être entendues. Les feudistes du dix-huitième siècle, qui montrent souvent, à l’égard des censitaires et autres débiteurs de droits féodaux, un esprit de douceur, de modération et de justice peu connu de leurs devanciers, parlent encore en certains endroits des vils paysans. Il paraît que ces injures étaient de style, comme disent les notaires.

A mesure qu’on approche de 1789, cette sympathie pour les misères du peuple devient plus vive et plus imprudente. J’ai tenu dans mes mains des circulaires que plusieurs assemblées provinciales adressaient, dans les premiers jours de 1788, aux habitants des différentes paroisses, afin d’apprendre d’eux-mêmes, dans le détail, tous les griefs dont ils pouvaient avoir à se plaindre.

L’une de ces circulaires est signée par un abbé, un grand seigneur, trois gentilshommes et un bourgeois, tous membres de l’assemblée et agissant en son nom. Cette commission ordonne au syndic de chaque paroisse de rassembler tous les paysans et de leur demander ce qu’ils ont à dire contre la manière dont sont assis et perçus les différents impôts qu’ils payent. « Nous savons, dit-elle, d’une manière générale, que la plupart des impôts, spécialement la gabelle et la taille, ont des conséquences désastreuses pour le cultivateur ; mais nous tenons, en outre, à connaître en particulier chaque abus. » La curiosité de l’assemblée provinciale ne s’arrête pas là ; elle veut savoir le nombre de gens qui jouis-