Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/109

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France, et attiré dans ses murs tout un nouveau peuple d’ouvriers, auquel les travaux des fortifications avaient ajouté un autre peuple de cultivateurs maintenant sans ouvrage ; l’ardeur des jouissances matérielles qui, sous l’aiguillon du gouvernement lui-même, enflammait de plus en plus cette multitude ; le malaise démocratique de l’envie qui la travaillait sourdement ; les théories économiques et politiques, qui commençaient à y pénétrer et qui tendaient à lui faire croire que les misères humaines étaient l’œuvre des lois et non de la Providence, et qu’on pouvait supprimer la pauvreté en changeant la société d’assiette ; le mépris dans lequel était tombée la classe qui gouvernait et surtout les hommes qui marchaient à sa tête, mépris si général et si profond qu’il paralysa la résistance de ceux mêmes qui avaient le plus d’intérêt au maintien du pouvoir qu’on renversait ; la centralisation qui réduisit toute l’opération révolutionnaire à se rendre maître de Paris et à mettre la main sur la machine toute montée du gouvernement ; la mobilité enfin de toutes choses, institutions, idées, mœurs et hommes dans une société mouvante, qui a été remuée par sept grandes révolutions en moins de soixante ans, sans compter une multitude de petits ébranlements secondaires : telles furent les causes générales sans lesquelles la révolution de Février eût été impossible. Les principaux accidents qui l’ame-