Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/139

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rare qu’on mène à bout une telle entreprise. La faute en est d’abord au public qui aime qu’on s’accuse, mais qui ne souffre pas qu’on se loue ; les amis, eux-mêmes, ont coutume d’appeler candeur aimable le mal qu’on dit de soi, et vanité incommode le bien qu’on en raconte ; de telle sorte que la sincérité devient, à ce compte, un métier fort ingrat, où l’on n’a que des pertes à faire et point de gain. Mais la difficulté est surtout dans le sujet lui-même ; on est trop proche de soi pour bien voir, on se perd aisément au milieu des vues, des intérêts, des idées, des goûts et des instincts qui vous ont fait agir. Cette multitude de petits sentiers mal connus de ceux même qui les fréquentent, empêche de bien discerner les grands chemins qu’a suivis la volonté pour arriver aux résolutions les plus importantes.

Je veux cependant essayer de me retrouver dans ce labyrinthe, car il est juste de prendre enfin, vis-à-vis de moi-même les libertés que je me suis déjà permises et que je me permettrai si souvent encore envers tant d’autres.

Je dirai donc que, quand je vins à regarder attentivement dans le fond de mon propre cœur, j’y découvris, avec quelque surprise, un certain soulagement, une sorte de joie mêlée à toutes les tristesses et à toutes les craintes que la révolution faisait naître. Je souffrais pour mon pays de ce terrible événement, mais il était