Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/140

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clair que je n’en souffrais pas pour moi-même ; il me semblait au contraire que je respirais plus librement qu’avant la catastrophe. Je m’étais toujours senti comprimé dans le sein de ce monde parlementaire, qui venait d’être détruit : j’y avais trouvé toutes sortes de mécomptes, et quant aux autres et quant à moi-même ; et, pour commencer par ces derniers, je n’avais point tardé à découvrir que je n’y possédais pas ce qu’il fallait pour jouer là le rôle brillant que j’avais rêvé ; mes qualités et mes défauts, y faisaient obstacle. Je n’étais, point assez vertueux pour imposer le respect, et j’étais trop honnête pour me plier à toutes les petites pratiques, qui étaient alors nécessaires au prompt succès. Et remarquez que cette honnêteté était sans remède car elle tient si bien à mon tempérament autant qu’à mes principes que, sans elle, je ne puis jamais tirer le moindre parti de moi-même. Quand par hasard j’ai été obligé de parler dans une mauvaise cause, ou de marcher dans une mauvaise voie, je me suis aussitôt trouvé dépourvu de tout talent et de toute ardeur : et je confesse que rien ne m’a plus consolé en voyant le peu de succès que mon honnêteté avait souvent, que la certitude où j’ai toujours été que je n’aurais jamais fait qu’un coquin très maladroit et fort médiocre. J’avais fini également par m’apercevoir que je manquais absolument de l’art nécessaire pour grouper et mener ensemble