Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se convenir et sans s’entendre. Je vis reparaître à cette première séance presque tous les hommes parlementaires parmi lesquels j’avais vécu. À l’exception de M. Thiers, qui avait échoué, du duc de Broglie qui ne s’était pas présenté, je crois, et de MM. Guizot et Duchâtel, qui étaient en fuite, tous les orateurs célèbres et la plupart des parleurs connus de l’ancien monde politique étaient là ; mais ils s’y trouvaient comme dépaysés, ils se sentaient isolés et suspects, ils faisaient peur et ils avaient peur, deux contraires qui se rencontrent souvent en politique. Ils ne possédaient rien alors de cette influence que le talent et l’expérience leur redonnèrent bientôt. Tout le reste de l’Assemblée était aussi novice que si nous vinssions de sortir de l’ancien régime ; car, grâce à la centralisation, la vie publique ayant toujours été resserrée dans les seules limites des Chambres, tous ceux qui n’avaient été ni pairs ni députés savaient à peine ce que c’était qu’une assemblée, ni comment il convenait de s’y comporter et d’y parler ; ils en ignoraient profondément les habitudes journalières et les usages les plus ordinaires ; ils étaient inattentifs aux moments décisifs et écoutaient très attentivement les choses sans importance. C’est ainsi que le second jour, ils se pressèrent autour de la tribune et firent faire un grand silence pour mieux entendre la lecture du procès-verbal de la séance pré-