Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/190

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le vrai. Mais je ne sais si, de mon côté, je n’outrais pas les idées contraires ; la route à suivre me paraissait si bien tracée et si visible que je n’admettais point qu’on pût s’en écarter par erreur ; il me paraissait évident qu’il fallait se hâter de profiter de la force morale que possédait l’Assemblée en sortant des mains du peuple pour se saisir du gouvernement, et, par un grand effort, de le raffermir ; tout retard me paraissait de nature à diminuer nos forces et à accroître celles de nos adversaires.

Ce fut, en effet, durant les six semaines qui s’écoulèrent depuis la réunion de l’Assemblée jusqu’aux journées de Juin que les ouvriers de Paris s’enhardirent à la résistance, s’animèrent, s’organisèrent, se procurèrent des munitions aussi bien que des armes et se préparèrent enfin à la lutte ; je suis porté à croire, toutefois, que les tergiversations de Lamartine et sa demi-connivence avec l’ennemi, qui le perdirent lui-même, nous ont sauvés ; elles eurent pour effet d’amuser les chefs de la Montagne et de les diviser. Les Montagnards de la vieille école qu’on gardait dans le gouvernement se séparèrent des socialistes qu’on en excluait. Si tous avaient été unis par un intérêt commun et poussés par un même désespoir avant notre victoire, comme ils finirent par l’être depuis, on peut douter que cette victoire eût été remportée. Quand je songe que nous