Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/199

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Pendant que ce désordre avait lieu dans son sein, l’Assemblée se tenait passive et immobile sur ses bancs sans résister, sans plier, muette et ferme. Quelques membres de la Montagne fraternisaient avec le peuple, mais furtivement et à voix basse. Raspail s’était emparé de la tribune et se préparait à y lire la pétition des clubs ; un jeune député, d’Adelsward se lève et s’écrie : « De quel droit le citoyen Raspail prend-il ici la parole ? » Des hurlements furieux s’élèvent ; des hommes du peuple se précipitent sur d’Adelsward, on réussit à les arrêter et à les contenir. Raspail obtient à grand’peine de ses amis un moment de silence et lit la pétition ou plutôt l’ordre des clubs, qui nous enjoignent de nous prononcer immédiatement en faveur de la Pologne.

« Dépêchez-vous, on attend la réponse », crie-t-on de toutes parts. L’Assemblée continue à ne donner aucun signe de vie ; le peuple, dans son impatience et dans son désordre, fait un tumulte effroyable qui nous dispense d’ailleurs de répondre. Le président Buchez, dans lequel les uns ont voulu voir un coquin et les autres un saint, mais qui était à coup sûr, du moins ce jour-là, une grosse bête, agite de toutes ses forces sa cloche pour obtenir le silence, comme si le silence de cette multitude n’avait pas été dans la circonstance présente plus à redouter que ses cris.