Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/200

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C’est alors que je vis paraître, à son tour, à la tribune un homme que je n’ai vu que ce jour-là, mais dont le souvenir m’a toujours rempli de dégoût et d’horreur ; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l’air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l’aspect d’un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir ; on me dit que c’était Blanqui.

Blanqui dit un mot de la Pologne ; puis, tournant court du côté des affaires intérieures, demande vengeance de ce qu’il appelait les massacres de Rouen, il rappelle avec menace la misère dans laquelle on laissait le peuple et se plaint des premiers torts de l’Assemblée envers celui-ci. Après avoir ainsi animé son auditoire, il revient à la Pologne et réclame, comme Raspail, un vote immédiat.

L’Assemblée continue à rester immobile, le peuple à s’agiter et à pousser mille cris contradictoires, le président à agiter sa cloche. Ledru-Rollin essaie d’obtenir de la foule qu’elle se retire, mais personne ne pouvait déjà plus rien sur elle. Ledru-Rollin, presque hué, quitte la tribune.

Le tumulte renaît, s’accroît, s’engendre pour ainsi dire de lui-même, car le peuple n’est plus assez